Nouveaux produits alimentaires : la guerre des clones

Après près de trois ans de négociations sur la question du règlement sur les nouveaux aliments, la législation est abandonnée après l’échec des négociations entre Conseil et Parlement dans la nuit du 28 au 29 mars dernier. Les nouveaux produits alimentaires sont régis, depuis 1997 par le Règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires. Des aliments peuvent être considérés comme “nouveaux” s’ils sont issus de nouveaux procédés technologiques, ou si – comme c’est le cas pour un aliment exotique – leur consommation dans l’Union n’a pas une histoire significative. Dans les deux cas, ces aliments sont définis de cette façon depuis le 15 mai 1997, date à laquelle l’Union européenne a introduit le règlement relatif aux nouveaux aliments afin d’assurer des contrôles avant commercialisation.

Une réglementation dépassée
Dans le cadre de l’amélioration de la législation communautaire relative aux aliments «de la ferme à la table» et du renforcement de sa cohérence, la Commission avait annoncé, dans son livre blanc sur la sécurité alimentaire, son intention d’examiner l’application de la législation relative aux nouveaux aliments et d’apporter les adaptations nécessaires à la législation existante. Elle a partiellement concrétisé cette intention en faisant adopter le règlement n° 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Il était dès lors nécessaire de remanier le règlement relatif aux nouveaux aliments, étant donné qu’il ne s’appliquait plus aux denrées alimentaires génétiquement modifiées.

La Commission a donc, en janvier 2008, présenté une proposition mettant à jour la réglementation sur les nouveaux aliments. Celle-ci visait, tout en assurant la sécurité alimentaire, la protection de la santé humaine et le bon fonctionnement du marché intérieur dans le domaine des denrées alimentaires, à simplifier la procédure d’autorisation, à développer un système d’évaluation de l’innocuité plus adapté pour les aliments traditionnels en provenance de pays tiers (considérés comme nouveaux aliments en vertu du règlement actuel), ainsi qu’à préciser la définition d’un nouvel aliment, en tenant compte des nouvelles technologies qui ont un effet sur les denrées alimentaires, et le champ d’application du règlement relatif aux nouveaux aliments. Ce règlement devait en outre améliorer l’efficacité, la transparence et la mise en œuvre du système d’autorisation, contribuant aussi à une meilleure application du règlement et donnant aux consommateurs la possibilité de  choisir en connaissance de cause en les informant sur les denrées alimentaires.

Visions inconciliables
En première lecture, le Parlement européen ajouta un certain nombre d’amendements relatifs en particulier aux nanomatériaux et aux techniques de reproduction non-naturelles. Plus particulièrement, le parlement estime que « Le clonage des animaux est incompatible avec la directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages [7], dont l’annexe dispose, en son point 20, que les méthodes d’élevage naturelles ou artificielles qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ou des dommages aux animaux concernés ne doivent pas être pratiquées. Les aliments obtenus à partir d’animaux clonés ou de leurs descendants ne doivent donc pas figurer sur la liste communautaire ».
La réponse du Conseil se veut assez cinglante puisque celui-ci estime que “les aliments issus d’animaux produits au moyen de techniques de reproduction non traditionnelles (par exemple le clonage) et de leurs descendants relèvent du champ d’application du règlement”. Même si ce dernier estime qu’un règlement centré sur cette question serait nécessaire par la suite, le règlement sur les nouveaux produits alimentaires ne pouvant gérer intégralement cette question de manière satisfaisante, néanmoins « cette solution permet d’éviter le vide juridique qui existerait si ces denrées alimentaires étaient exclues du règlement comme le proposait le Parlement européen, en l’absence de toute législation règlementant la production de denrées alimentaires issues d’animaux clonés ».
La Commission adoptait une approche médiane en estimant que la proposition du Conseil d’inclure les animaux descendants d’animaux clonés dans le champ d’application du règlement n’était pas approprié puisque les animaux issus d’animaux clonés l’était par des méthodes de reproduction traditionnelle, et que ceux-ci ne devaient pas faire l’objet d’une autorisation avant leur mise sur le marché, ne rentrant pas dans la définition des aliments nouveaux.

Deux philosophies différentes

Conseil et Parlement ont campé sur leurs positions et ne sont pas parvenus à un accord sur un texte final après la deuxième lecture. La position du Conseil était en effet plus basée sur une approche scientifique et neutre, les évaluations menées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) n’ont mis en lumière aucun risque de santé publique lié à la consommation de viande ou de lait issus d’animaux clonés. La position du Parlement était elle centré sur les question éthique et la volonté populaire. Les députés ont en effet mis en avant la question de la santé et du bien-être animal, aux implications
éthiques et aux conséquences possibles de la réduction de la diversité génétique des animaux d’élevage. Ils s’appuyaient également sur un sondage Eurobaromètre de 2008 menée auprès de 25 000 citoyens de l’Union européenne faisant apparaître que 58% des personnes interrogées considéraient que le clonage à des fins de production alimentaire était “injustifié”. 83% d’entre elles estimaient que les aliments issus d’animaux clonés, en cas d’autorisation à la vente, devaient être étiquetés. 63% ont déclaré qu’il serait “peu probable” qu’elles achètent des aliments issus du clonage.

Échec de la procédure de conciliation

Après l’échec de la procédure législative en deux lectures, des négociations de conciliation ont été initiées entre le Parlementet le Conseil avec la participation de la Commission européenne, pour tenter de parvenir un accord.

Le Parlement a fait une proposition d’ouverture au cours de cette négociation en proposant que les animaux clonés et leur descendance puisse être inclus dans le champ d’application de la législation et par la suite autorisé à la consommation, à condition qu’un étiquetage mentionnant cette origine soit obligatoire. Proposition rejetée par le Conseil, ce qui a clôt les discussions et enterré la proposition de règlement.
Le communiqué conjoint du rapporteur et du Président de la délégation du Parlement européen rapporte en effet que « Nous avons fait un effort énorme pour faire des compromis, mais nous n’étions pas prêts à trahir le droit des consommateurs de savoir si les aliments proviennent d’élevage d’animaux clonés. Étant donné que l’opinion publique européenne est majoritairement contre le clonage des aliments, l’engagement d’étiqueter tous les produits alimentaires issus de la progéniture clonée représente un strict minimum. Le Conseil soutient uniquement l’étiquetage d’un type de produit: les viandes fraîches ».
Le Conseil a lui indiqué qu’une telle solution d’étiquetage aurait été inapplicable en pratique, et qu’une telle obligation aurait pu avoir des conséquences négatives importantes du point de vue du commerce international.
On se dirige donc à présent vers des législations séparées traitant de la question du clonage d’une part et des nanomatériaux d’autre part, à charge pour la Commission de proposer de tels textes. Qui promettent des discussions encore animées.


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