Publicité clandestine: l’absence de rémunération lors de sa diffusion n’exclue pas son caractère intentionnel
La Cour appelée à répondre à une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat grec estime que l’existence d’une rémunération ne constitue pas un élément pouvant exclure le caractère intentionnel d’une publicité clandestine. Selon la Cour, une telle interprétation risquerait de compromettre la finalité de la réglementation communautaire en la matière.
Introduction
Le Conseil d’Etat grec a invité la Cour de Justice de l’Union européenne à se prononcer sur l’interprétation qui doit être faite de l’article 1sous d) de la Directive 85/5521 et préciser si l’existence d’une quelconque rémunération constitue un élément nécessaire pour pouvoir établir le caractère intentionnel d’une publicité clandestine.
Contexte du litige
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eleftheri tileorasi AE, société possédant et exploitant une chaîne de télévision privée «ALTER CHANNEL» – dont M. Giannikos est le président- au ministre de la Presse et des Médias ainsi qu’au Conseil national de la radiotélévision au sujet d’une décision de ce dernier d’infliger à Eleftheri tileorasi une amende pour violation de dispositions nationales relatives à la publicité clandestine à l’occasion de la présentation d’un produit au cours d’une émission télévisée.
En effet, lors de la diffusion d’une émission télévisée sur la chaîne en question, un traitement dentaire esthétique a été présenté en trois séquences. Pendant l’émission, la présentatrice a venté les vertus du produit dentaire et a déclaré que le traitement pour l’obtention d’un « sourire naturel » n’a duré que deux heures.
Le Conseil national de la radiotélévision, estimant que l’émission de télévision en cause contenait une publicité clandestine a, par décision du 10 mars 2004, infligé une amende de 25000 euros à Eleftheri tileorasi AE et à M. Giannikos. Eleftheri tileorasi AE et à M. Giannikos ont introduit un recours en annulation contre cette décision au Conseil d’Etat. C’est à cette occasion, que le Conseil d’Etat a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle concernant l’interprétation devant être faite de la condition de rémunération et de son caractère indispensable
ou non par rapport au but publicitaire.2
Cadre juridique
En effet, selon l’article 1 sous d) la publicité clandestine- qui en vertu de l’article 10, par. 4 de ladite directive est interdite- vise la « présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d’un producteur de marchandises ou d’un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite de façon intentionnelle par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle dans un but publicitaire et risque d’induire le public en erreur sur la nature d’une telle présentation ». Il est précisé dans le texte de cette même directive qu’une « présentation est considérée intentionnelle notamment lorsqu’elle est faite contre rémunération ou paiement similaire».
Sur la question préjudicielle
Par sa question, la juridiction de renvoi demande donc à la Cour de préciser si l’existence d’une rémunération ou d’une quelconque autre forme de paiement constitue un élément nécessaire établissant le caractère intentionnel d’une publicité clandestine. Cette demande de précision est d’autant plus significative pour la juridiction grecque, que l’adverbe « notamment » n’apparaît pas dans la version grecque de la disposition visée.
La Cour constate que la législation communautaire prévoit en effet – dans ses autres versions linguistiques- que la présentation d’un produit ou d’un service est considérée comme intentionnelle « notamment lorsqu’elle est faite contre rémunération ou paiement nécessaire », terme qui n’apparaît pas dans la version grecque mais souligne toutefois que selon une jurisprudence constante, qu’en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée à la lumière de la finalité générale de la réglementation dont elle constitue l’élément. Dès lors, l’interprétation et l’application uniformes des dispositions du droit communautaire excluent que le texte d’une disposition soit considéré isolément dans une de ses versions linguistiques, mais exigent au contraire « qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles ». 3
A cet égard, la Cour remarque que l’objectif de la directive 89/552 est d’assurer une protection complète et appropriée aux intérêts des consommateurs. Il est par conséquent nécessaire, selon la Cour, que la publicité télévisée soit soumise à des normes strictes. C’est donc dans cette perspective que la législation communautaire interdit la publicité clandestine.
La Cour souligne qu’en vertu de la directive 89/552, une publicité clandestine doit être «faite de façon intentionnelle par un organisme de radiodiffusion télévisuelle dans un but publicitaire». Selon la Cour, la présentation d’une marchandise ou d’un service est présumée avoir un caractère intentionnel dès lors qu’il est établi que cette présentation a eu lieu contre une quelconque
rémunération. Cette présomption ne peut néanmoins pas conduire à une interprétation restrictive de la disposition en question et ainsi exclure d’autres formes de publicité clandestine. En effet selon la Cour, la présomption du caractère intentionnel de la présentation établie par une rémunération ne peut pas mener à la conclusion selon laquelle une telle présentation ne peut être considérée comme étant intentionnelle que lorsqu’elle est effectuée contre rémunération. Une telle interprétation ne reflèterait pas la finalité de la directive et risquerait de compromettre la protection des intérêts des consommateurs visée par cette dernière.
Conclusion de la Cour
La Cour estime par conséquent que bien que l’existence d’une rémunération « constitue un critère permettant d’établir l’intention publicitaire d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle », il ressort néanmoins de la finalité de la directive 89/552 qu’une telle intention ne peut être exclue en l’absence de rémunération.
La Cour considère par conséquent que la réglementation d’un État membre peut prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence et d’introduire, outre la rémunération, d’autres critères permettant d’établir le caractère intentionnel d’une publicité clandestine – répondant ainsi à la question de la juridiction de renvoi.
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